ALL-IN par Albert Sebag : pitié pour les fishs


ALL-IN par Albert Sebag : pitié pour les fishs

Albert Sebag milite en faveur du respect pour les joueurs considérés comme des "fishs".


Plume émérite du journalisme français, Albert Sebag est aussi une encyclopédie du poker. Depuis ses débuts à l’aube des années 1980, il a vu défiler joueurs, variantes, crises et embellies tout en assistant à la naissance du Hold’em ou du poker online. Autant dire qu’il est l’homme idéal pour cette chronique parue dans le LivePoker n°130 et qui va lui permettre de tout mettre sur la table !


Avez-vous vu « Le Schpountz », ce chef d’œuvre de Marcel Pagnol, un des plus grands films français d’avant-guerre (1938) ? Le pitch est assez simple : Irénée Fabre – interprété par le génial Fernandel - vit et travaille avec son frère, depuis la mort de leurs parents, chez leur tante et oncle dans une modeste épicerie du Sud. Irénée a toujours rêvé de devenir un grand comédien du répertoire classique. Une équipe de cinéma passe par hasard dans son village. Ils lui font passer un casting impromptu où il répète sur tous les tons la phrase : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée ». Cette scène est d’ailleurs devenue cultissime dans l’histoire du 7e art. Ils lui signent un contrat bidon. Le pauvre Irénée va monter à Paris et se rendra compte trop tard qu’on s’est bien moqué de lui. Oui, mais voilà, il deviendra, par d’incroyables concours de circonstances, une immense star comique. Eh bien, je m’adresse ici à tous les aficionados de poker, cinéphiles ou non. Trouvez ce film en noir et blanc sur le web. Il est visible gratuitement en version intégrale. Vous (re)verrez non seulement un film immense mais, en souriant des excentricités de ce schpountz, vous penserez immanquablement à ceux que certains appellent « fish ».

Après ce petit préambule ludo-culturel, recentrons un peu plus la focale. Voici donc ma troisième livraison. Je dois dire que je suis assez heureux d’enregistrer un magnifique coin flip : 50 % de réactions acides voire fielleuses, 50 % de réactions enthousiastes et amicales. Mais 100 % de mes lecteurs ont compris depuis le début que j’étais décidé à mener un très modeste combat contre la suffisance et l’arrogance. Début janvier, j’ai attaqué frontalement ceux qui friment avec leurs lignes Hendon mais qui se montrent très discrets sur leur nombre de re-entry. Début février, j’ai attaqué gentiment ceux qui pensent que le poker ne passe que par les maths, les folders et les trackers. Aujourd’hui, je voudrais vous dire à quel point je suis triste de constater que les comportements ne changent guère. On souhaiterait que le poker de tournoi devienne un sport à part entière. Or je ne connais pas de discipline où le manque de fair-play et l’irrespect de l’adversaire sont autant monnaie courante. Une fois de plus, je ne parle pas ici des top regs. Non, ce qui est désolant, c’est ce consensus entre imbéciles de bonne compagnie qui, tels les techniciens du « Schpountz », s’abreuvent de dégueulasseries en tout genre au sujet de leur bouc émissaire préféré : le fish.

Certains, sans doute les pires faux-culs devant l’Eternel, vous diront que « ce n’est pas méchant », c’est « juste pour se marrer un coup », etc. Consternant de duplicité et d’une lâcheté sans nom. Rappelons qu’à leur sens, un fish est un imbécile, un fat, un joueur vantard d’une nullité accablante, un débutant qui ne comprend rien. S’ils se contentaient de raser ce joueur qu’ils considèrent tous comme un pigeon, après tout c’est le principe même du shark : il n’est pas là pour faire du tourisme. Mais non, ils rasent et ne se privent jamais d’une remarque désobligeante face à celui qui, parfois au bord des larmes, vient de comprendre en une seconde, sur un mauvais call, qu’il n’a pas le niveau. Mais, à peine busto, nos amis, comme une meute de hyènes rigolardes, ne se priveront pas d’assassiner le malheureux qui, lui, a pris un plaisir immense à croiser le fer avec ces fines lames…

Alors, je vais la faire courte et dire en quelques mots ce que m’inspire ce genre de comportement. Primo, on est toujours le fish de l’autre. N’oubliez jamais, mesdames et messieurs les professionnels de la méchanceté, que même parvenu dans les 20 left d’un EPT, un grand joueur allemand, espagnol voire français peut discuter au break avec ses camarades et se gausser du fish qu’il voit en votre immense personne alors que, vous, êtes presque convaincu de faire partie du top 100 mondial. Deuxio, n’oubliez pas que sans vos éventuels fishs, vous n’êtes rien. Puisqu’ils vous donnent leur argent, ayez au moins la pudeur de les détrousser sans en plus se foutre de leur gueule. Tertio, je dois dire que j’ai mille fois plus de respect pour un fish - comme vous dites - sympathique et généreux, que pour les sharks au verbe agressif voire haineux qui déshonorent l’esprit du poker live, une des plus belles écoles de la vie. Online, je préfère m’abstenir : regardez le nombre d’abrutis qui insultent votre mère ou vous traitent de fish dès lors que vous leur avez fait l’affront de les gratifier d’un parfait hero-call sous le regard complaisant d’un modérateur semble-t-il aveugle (on y reviendra). In fine, de grâce, pitié pour ceux que vous appelez fishs ! Vous verrez, dans votre monde impitoyable de sharks, un peu de bienveillance vous sera bénéfique et – qui sait ? – fera de vous peut-être même un meilleur joueur…

Par Albert Sebag

Crédit photo : RMC Sport

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