INDUSTRIE : Pourquoi le poker n’arrive pas à séduire médias et investisseurs ?
Malgré des fields énormes dans les tournois, des joueurs disponibles et souvent charismatiques, un milieu devenu extrêmement professionnel, le poker peine à intéresser les médias classiques et à attirer des annonceurs autres que ceux du jeu. LivePoker a tenté de savoir pourquoi et comment y parvenir.
Il y a
désormais 20 ans que le poker a fait son apparition sur les antennes de Canal+
(et concomitamment dans les écrans un peu partout dans le monde), laissant
espérer pour celui-ci une exposition médiatique méritée et les retombées allant
de pair. Malheureusement 20 ans après, la situation n’a pas véritablement
changé. Le poker n’a même plus la chance d’avoir une retransmission aussi
emblématique que celle sur la chaine cryptée avec Patrick Bruel aux manettes.
Certes, Internet a pris le relais, proposant toutes sortes de contenus
passionnants aux fans : streamings de tournois, émissions, débats, vidéos
didactiques, etc. Et dans le même temps, l’engouement pour le poker se confirme
année après année, dépassant par sa durée, son ampleur, sa régularité le simple
effet de mode passager comme ce fut le cas au milieu des années 2000.
Pour autant,
les médias généralistes ne s’intéressent au poker qu’à la marge et celui-ci
semble toujours trainer une réputation légèrement sulfureuse à l’heure de
convaincre des marques généralistes. Même aux Etats-Unis, temple du poker s’il
en est, seuls les WSOP arrivent à bénéficier d’une réelle couverture télé et à
séduire tant bien que mal un ou deux annonceurs.
Il existe
bien évidemment des avantages aux events avec ré-entrées. Le premier étant de
faire gonfler affluences et prizepools de manière continue et spectaculaire, ce
qui profite à toute l’industrie et permet d’attirer de nouveaux joueurs,
séduits par des perspectives de gains chaque années plus alléchantes. Prizepool
gonflé pouvant aussi profiter aux joueurs les moins fortunés, soit parce qu’ils
sont compétents, soit par la grâce d’une One Time. D’autres bienfaits ont aussi
été mis en avant par des connaisseurs, dans un précédent débat, Alexandre Henry
avait ainsi expliqué que de nombreux joueurs, même amateurs, ne feraient pas de
déplacements parfois lointains sans la possibilité de pouvoir faire une ou deux
ré-entrées en cas d’accidents (et donc d’éliminations) précoces. Pour tenter de
voir ce qu’en pensent les joueurs, LivePoker a interrogé un amateur et un
professionnel, tous deux connaisseurs du poker et du circuit.
Cécile Ticherfatine, joueuse professionnel, fondatrice de la Team Queen’s Squad et numéro 1 française, « un avantage pour les joueurs avec plus de moyens »
Que t’inspire le fait que la grande majorité des tournois soit désormais avec re-entries ?
Je suis partagée. D’un côté, j’aime le principe du re-entry, qui permet d’avoir des prizepools plus importants. De l’autre, il est vrai que cela avantage les joueurs disposant de plus de moyens. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’aujourd’hui, il est difficile d’organiser des tournois sans re-entry, car cela nécessiterait une très grande participation pour rendre les tournois intéressants sur le plan financier.
Sais-tu ce qu’en penses les filles de ta team dont certaines avaient ou ont sans doute toujours des bankrolls limitées ?
Là-aussi, les avis sont partagés, certaines sont favorables, d’autres nettement moins, n’hésitez pas à leur demander directement…
Même si de vrais avantages existent, est-ce que les ré-entrées ne sont pas la négation même de l’essence du tournoi : le même nombre de jetons pour chacun et que le meilleur gagne ?
En effet, personnellement ce que j’aime dans les tournois, c’est avant tout leur côté compétitif. Or, le système de re-entry va, selon moi, à l’encontre de cet esprit. J’espère secrètement qu’un jour, il sera possible de rejouer un tournoi Warriors sans re-entry et sans pauses.
Anthony Perles, joueur amateur, apparu sur le circuit en 2009 et régulier depuis cinq ans « un championnat de France en freezeout »
Comment l’amateur que tu es perçoit le fait que presque tous les tournois soient des ré-entrées ?
Je ne pense pas que ce soit une bonne chose, quand j’ai débuté ce n’était quasiment que des freezeouts, aujourd’hui c’est l’inverse. Evidemment je me suis adapté, je les aborde comme des freezeouts, en étant vigilant aux pros et aux regs qui vont jouer plus loose, en jouant plus serré. A titre personnel, je ne ré-entry jamais en dessous de 40 ou 35 BB, mais en général je préfère faire un autre tournoi que remettre une ou plusieurs bullets dans un même event.
N’est-ce pas un avantage certain pour les joueurs à gros moyens, notamment les pros et plus encore ceux sponsos ?
C’est clairement un énorme avantage pour les joueurs à grosses bankrolls, les pros et les joueurs très aisés. Et plus encore pour les joueurs sponsos qui peuvent jouer très aggros et prendre un maximum de risques dès le début des tournois, ils savent qu’ils peuvent repasser à la caisse sans que cela les impacte financièrement.
Certains militent pour que plus d’épreuves en freezeout soient organisées, notamment en France, avec par exemple une forme de championnat. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Je fais partie de ceux-là, j’aimerais notamment qu’il y ait un championnat de France de poker en freezeout, il pourrait y avoir plusieurs catégories en fonction des niveaux de buy-in. Ce pourrait être un championnat sur l’année qui refléterait ainsi les niveaux de chacun.
Petite question piège pour finir : il t’est déjà arrivé de te faire éliminer d’un tournoi par un joueur que tu avais précédemment éliminé de ce même tournoi ?
Ça ne m’est jamais arrivé, mais j’ai une anecdote lors d’un Main Event IPO à 500 € à Sanremo : au cours du jour 1 j’ai la chance de sortir Jérémy Palvini et lors du day 2 je le retrouve à la table voisine avec un stack énorme. De mémoire, il est allé en demi-finale, beaucoup plus loin que moi…
