MAGAZINE : LivePoker n°167 - Mai 2022

Edito

Pour une blacklist ! 

Lorsque j’ai débuté le poker, au siècle dernier, nous jouions dans des parties de cash game privées plus ou moins bien fréquentées. Jeune homme de bonne famille égaré dans un milieu interlope, il me fallait ouvrir l’œil, certains ayant tendance à quelque peu manipuler le hasard. Il n’y avait en effet que très rarement des croupiers, aucune caméra et la moralité de quelques-uns s’avérait plus que douteuse. Il était donc facile - en théorie - de tricher, les moyens de contrôle étant inexistants, et pourtant de telles pratiques étaient rares. Il faut dire que les informations circulaient et que dans certaines parties les conséquences d’une telle infamie pouvaient se révéler sérieuses. Je me souviens encore d’un joueur qui bien que n’ayant plus que huit doigts mélangeait les cartes avec une virtuosité suspecte. Il était connu comme le loup blanc et surveillé attentivement, notamment par un gros costaud qui lui lançait immanquablement à l’instant de distribuer « attention Ma***, si tu ne veux pas perdre un autre doigt… ». Autant dire que pour tricher il fallait non seulement une absence de morale certaine mais aussi une audace frisant à l’inconscience ! 

« Que risque en effet un joueur trichant sur le net ? D’être banni du site et de voir l’argent qu’il n’a pas retiré saisi ? La belle affaire ! »

Ce qui nous ramène au regrettable scandale émaillant le monde des high stakes. Voir le numéro 1 mondial, le leader de la All Time Money List et un des plus gros gagnants de ce début d’année accusés frontalement par leurs pairs de tricherie caractérisée et savoir qu’une quarantaine de joueurs ont été bannis de GGPoker est affligeant. Surtout à l’heure où le poker fait son possible pour s’offrir une légitimité, bafouée mais méritée. Dès l’instant où les enjeux sont significatifs, que l’on soit dans la finance, le business, le sport ou le poker il y aura toujours des individus pour ne pas respecter les règles, et d’autant plus si l’impunité est quasi-totale. Que risque en effet un joueur trichant sur le net ? D’être banni du site et de voir l’argent qu’il n’a pas retiré saisi ? La belle affaire ! Il ira exercer ses talents ailleurs sans que le plus souvent personne ne connaisse ses méfaits. La Black List réclamée par certains, notamment par Chance Kornuth, est donc indispensable pour lutter contre ce fléau. Commune à tous les opérateurs de poker – et pourquoi pas aux casinos – elle interdirait de facto les tricheurs de toutes activités. Révéler les noms de tout indélicat pris sur le fait serait à n’en pas douter une mesure complémentaire fort efficace.

David Poulenard